3 Juin 2008
Encore un point qui a une énorme importance pour nous et peut-être pour d'autres associations : peut-on autoriser la création d'un
CSDU à l'intérieur d'une zone Natura 2000 (Habitat ou ZPS), voire d'une ZNIEFF 1 ?
Un cas qui est vite traité : le PEDMA départemental exclu des localisations possibles les zones Natura 2000. Cela se fait de plus souvent en France quand les départements jouent vraiment le jeu.
Dans ce cas, la réponse est clairement "NON". L'arrêté d'autorisation serait cassé par le TA pour non comptabilité avec les objectifs du PEDMA.
Le cas est tout différent si le PEDMA n'aborde par ce sujet, ou s'il n'y a plus de PEDMA. Là, tout est plus délicat.
La procédure comprend deux parties :
- une évaluation de l'incidence (l'étude d'impact peut sûrement servir à remplacer ce document, ...)
- un pré-diagnostic, comportant une description circonstanciée du programme ou du projet de travaux (y compris la localisation par rapport aux habitats
et aux habitats d'espèces justifiant la désignation du site) et l'analyse de ses effets sur ces derniers (emprise, perturbation ...),
- un diagnostic précisant, si nécessaire, les mesures pour supprimer ou réduire les effets dommageables, et leurs coûts, et les éventuels effets
résiduels subsistant néanmoins,
- l'absence de solution alternative s'ils restent des effets notables dommageables (je vois mal quiconque plaider que Robécourt soit le seul
endroit des Vosges où l'on peut implanter un CSDU)
Il est clair que le porteur du projet - ne pouvant plaider l'absence de solution alternative - va essayer de diminuer au maximum les dommages causés par son projet,
et proposer des mesures pour compenser ou supprimer les effets dommageables. C'est là tout l'objet du débat. Il semblerait que la justice européenne soit beaucoup moins souple que
l'administration française dans l'interprétation des effets dommageables.
J'ai repéré 5 cas de jurisprudence au niveau européen (avocat général Kokott) où les états ont été condamnés pour avoir essayé "de passer en force" en minimisant les dégâts (zones Natura 2000 ZPS, directive Oiseaux Annexe I).
- un à Castro Verde au Portugal pour un projet d'autoroute
Manquement d'État - Directive 92/43/CEE - Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages - Article 6, paragraphe 4 - Zone de protection spéciale de Castro Verde - Absence de solutions alternatives
Affaire C-239/04.- Recueil de jurisprudence 2006 page I-10183
- un en Italie pour une piste de ski
Manquement d'État - Directive 92/43/CEE - Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages - Directive 79/409/CEE - Conservation des oiseaux sauvages - Évaluation des incidences sur l'environnement de travaux d'aménagement de pistes de ski.
Affaire C-304/05.- Recueil de jurisprudence 2007 page I-07495
- un en Espagne
Manquement d'État - Directive 79/409/CEE - Conservation des oiseaux sauvages - Zone irrigable du canal Segarra-Garrigues (Lérida).
Affaire C-186/06. - Recueil de jurisprudence 2007 page 00000
- d'autres encore :
Manquement d'État - Conservation des habitats naturels - Faune et flore sauvages - Zone de protection spéciale 'Valloni e steppe pedegarganiche'.
Affaire C-388/05.- Recueil de jurisprudence 2007 page I-07555
Manquement d'État - Directive 79/409/CEE - Conservation des oiseaux sauvages - Râle des genêts - Zone de protection spéciale du parc naturel national du Lauteracher Ried - Exclusion des sites de
Soren et de Gleggen-Köblern - Directive 92/43/CEE - Conservation des habitats naturels - Faune et flore sauvages - Procédure relative à un plan ou projet de construction - Procédure de fixation
du tracé d'une voie rapide - Procédure d'évaluation d'incidence environnementale - Violations procédurales liées au projet de construction sur le territoire autrichien de la voie rapide fédérale
S 18 - Application dans le temps de la directive 92/43.
Affaire C-209/04.- Recueil de
jurisprudence 2006 page I-02755
Site de la Jurisprudence Européenne : http://eur-lex.europa.eu/en/index.htm
C'est long à lire, mais c'est très enrichissant sur ce qu'attend la justice européenne de l'évaluation d'incidence et de l'absence de solution
alternative.
Quelques points importants :
3. Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d'affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d'autres plans
et projets, fait l'objet d'une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des
conclusions de l'évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet
qu'après s'être assurées qu'il ne portera pas atteinte à l'intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l'avis du public.
4. Si, en dépit de conclusions négatives de l'évaluation des incidences sur le site et en l'absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons
impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l'État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est
protégée. L'État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.
21. La construction d'une autoroute dans ces zones est en principe susceptible de porter atteinte à leur caractère de zones les plus appropriées pour la protection
des oiseaux. La route provoque des pertes directes de surface, des perturbations et des émissions polluantes vers les surfaces adjacentes. Elle augmente
également le risque de mortalité des oiseaux due au trafic automobile. Enfin, elle sépare environ 1 700 hectares de la ZPS, c'est-à-dire environ 2 % de sa superficie, du
reste de la ZPS. L'impact de cette séparation dépend du comportement et de la sensibilité des espèces concernées.(NB : je ne vois pas vraiment comment le porteur du
projet pourrait avancer que la création d'un CSDU est sans incidence sur une zone ZPS Natura 2000 : création route, trafic, biogaz, liviviat, odeur, déchets, augmentation des populations de rats
et de cordeaux en autres, ...)
22. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de fournir d'autres preuves démontrant qu'il est porté atteinte à l'intégrité de la ZPS (9) . Au contraire, il
appartient à la République portugaise de prouver que les effets du projet ne portent pas atteinte à l'intégrité de la ZPS (10).
24. La Commission souligne que conformément à l'étude d'impact sur l'environnement (13), parmi les espèces d'oiseaux se trouvant sur la zone concernée, 17 figurent dans l'annexe I de la
directive oiseaux, 8 font partie des espèces rares ou menacées au Portugal (14) et 16 font partie des espèces rares ou menacées en Europe (15) . La République portugaise, qui invoque un
avis de l'Instituto da Conservação da Natureza, estime que seules 8 espèces figurant à l'annexe I utilisent effectivement la zone concernée comme aire de reproduction: la grande outarde, le
faucon crécerellette et l'outarde canepetière, qui sont des espèces prioritaires en vertu du droit portugais, ainsi que le busard cendré, l'œdicnème criard, le rollier d'Europe, l'alouette
calandrelle et l'alouette calandre.
25. Cette contradiction entre l'étude et l'argumentation de la République portugaise éveille déjà des doutes importants quant à la qualité de l'évaluation des
incidences, car celle-ci doit établir quelles espèces utilisent effectivement les zones concernées afin de pouvoir évaluer les incidences d'un projet. Une lecture de l'étude d'impact sur
l'environnement confirme ces doutes.
26. L'étude ne contient que de vagues références aux espèces présentes. En particulier, la mention de l'existence, à une distance de 6 kilomètres, d'un lieu d'accouplement des grandes outardes,
qui sont très sensibles aux perturbations (16), permet de conclure que les zones en cause sont utilisées pour l'élevage des oisillons (17) . Cette espèce est considérée comme menacée
(vulnerable) au niveau mondial (18) .
28. Il n'existe pas d'indications concrètes relatives à l'importance des zones concernées pour d'autres espèces, bien que, en l'espèce, le gouvernement
portugais fasse état de la présence d'autres espèces de l'annexe I. Aucune observation concrète n'est prouvée et aucune explication relative à l'utilisation des espaces par les différentes
espèces et à l'impact concret du projet sur cette utilisation n'est fournie (20) .
29. En raison de ses lacunes, cette étude ne peut pas prouver que la construction de l'autoroute ne porte pas atteinte à l'intégrité de la ZPS de Castro
Verde. Toutefois, elle constitue un indice supplémentaire allant dans le sens qu'une telle atteinte était prévisible, car elle conclut déjà à l'existence d'un impact négatif élevé (impacto
negativo elevado) sur la base de ses résultats fragmentaires (21).
31. Cependant, conformément à l'article 6, paragraphe 3, deuxième phrase, de la directive habitats, il ne suffit pas de prouver a posteriori qu'un projet ne produit
pas d'effets négatifs pour justifier l'autorisation de celui-ci. Au contraire, c'est avant l'autorisation du projet qu'il ne doit subsister aucun doute raisonnable d'un point de vue scientifique
quant au fait que l'intégrité de la zone ne sera pas affectée (22) . C'est pourquoi l'argumentation du gouvernement portugais ne permet pas d'exclure l'application de l'article 6,
paragraphe 4.
32. De plus, les arguments du gouvernement portugais ne permettent pas non plus de prouver l'innocuité du projet. Pour de nombreuses espèces, il est affirmé sans aucune indication complémentaire qu'aucun effet préjudiciable n'est démontré.
33. En particulier, en ce qui concerne la croissance des populations de grandes outardes et de faucons crécerellette invoquée par le gouvernement portugais, il n'est en aucune manière possible
d'admettre que le projet d'autoroute n'a pas affecté l'intégrité de la ZPS de Castro Verde en ce qui concerne ces espèces. En l'absence de connaissance des raisons de l'augmentation des
populations, celle-ci ne permet en effet pas d'exclure une affectation de la zone par le projet autoroutier (23).
35. En effet, dans le cadre de l'article 6 de la directive habitats, l'affectation d'un site doit être distinguée strictement des mesures
compensatoires (24) . En vertu du système réglementaire de la directive habitats, les atteintes doivent être évitées autant que possible. À cette fin, il
est nécessaire, de préférence, d'exclure tout risque de dommage ou alors d'adopter des mesures visant à réduire ou à éviter le dommage (25) . Par contre, les mesures compensatoires entrent
seulement en considération lorsque, pour des raisons impératives d'intérêt public et en l'absence d'alternative, des atteintes doivent être tolérées. La conservation du patrimoine naturel
existant doit en effet être privilégiée par rapport aux mesures compensatoires, car le succès de ces dernières peut rarement être prévu avec certitude.
36. Dans la mesure où le gouvernement portugais invoque des mesures de limitation des dommages, celles-ci constituent essentiellement des mesures d'accompagnement des travaux et de conservation
de la végétation. Cependant, elles ne permettent pas de prévenir les probables effets néfastes résultant de l'existence et de l'utilisation de la route.
38. Par conséquent, c'est à bon droit que la Commission part du principe que ce tronçon d'autoroute ne devait pas être autorisé sur la base de l'article 6, paragraphe 3, deuxième phrase, de la
directive habitats, mais, tout au plus, en vertu de son article 6, paragraphe 4.
39. Conformément à l'article 6, paragraphe 4, de la directive habitats, un projet peut être réalisé en dépit des conclusions négatives de l'évaluation des incidences sur le site lorsque des
raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, existent et qu'il n'y a pas de solution alternative. Dans ce cas, l'État membre prend toute mesure
compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée.
43. L'absence d'alternatives ne peut pas être constatée lorsque seules quelques alternatives ont été examinées, mais uniquement après que toutes les alternatives ont
été exclues. Les exigences relatives à l'exclusion des alternatives augmentent parallèlement à l'aptitude de celles-ci à réaliser les objectifs du projet sans conduire - en l'absence de
doutes raisonnables - à des atteintes disproportionnées manifestes.
44. En ce qui concerne les alternatives ainsi sélectionnées, le choix ne doit pas obligatoirement se porter sur l'alternative qui affecte le moins l'intégrité de la zone concernée (30) . Ce
choix exige plutôt une mise en balance entre l'atteinte à l'intégrité de la ZPS et les raisons impératives d'intérêt public majeur pertinentes.
D'avance merci à tous de votre aide. Le CNIID peut-il relayer notre demande sur son réseau d'associations (liste de distribution)? Nous sommes intéressés par tous les retours d'expérience, cas de jurisprudence que vous avez pu rencontrer.
Merci d'envoyer vos réponses éventuelles à l'adresse suivante : contact1@accid-vosges.com