Suppression de la jachère obligatoire, expansion des surfaces accordées aux agrocarburants, la course aux terres arables met l'herbage en mauvaise
posture.
Déjà bien malmenée depuis les années 1970, la prairie, ou ce qu'il en reste, pourrait ne pas se relever de la nouvelle menace qui se profile. Depuis que la
Commission européenne a décidé de mettre fin à la jachère pour répondre à l'épuisement des stocks de céréales sur le marché mondial, la biodiversité des plaines tend le dos.
Au point que, pour une fois, chasseurs et environnementalistes se sont émus d'une même voix de cette situation car, au-delà de l'arrêt du gel des
terres, la demande croissante en agro carburants, boostée par l'envolée du prix du baril de pétrole, ne pourra qu'accroître l'extension des surfaces cultivées au détriment des pâtures.
Grand gagnant: le maïs
Cette orientation aura forcément une incidence néfaste, tant sur la flore que sur la faune. Imposées à un seuil minimum de 10% de la SAU (surface agricole
utile), les jachères représentaient environ 900.000 ha. Un chiffre insuffisant pour beaucoup d'observateurs, qui redoutent que les céréaliers profitent de la dynamique du marché du grain pour lui
sacrifier leurs prairies.
Selon le ministère de l'Agriculture, celles-ci ont perdu 7% de leur surface entre 1992 et 2003, soit 900.000 ha. Rappel opportun : entre 1982 et 1992,
elles avaient déjà subi une hémorragie de 2,5 millions d'ha! Au profit des terres arables, notamment aux confins du Bassin parisien et surtout à l'Est, en Lorraine. Dans les régions d'élevage
laitier, comme la Normandie ou la Bretagne, le recul atteint jusqu'à 10%, tandis que le maïs fourrage augmente son territoire de 13%.
En Lorraine, il ne subsiste plus que 30.000 ha d'herbages, dont 3.000 ha mériteraient une protection intégrale pour leur forte valeur ajoutée
biologique.
L'inventaire Corine
Dans de nombreuses régions de France en «mutation», plusieurs signes inquiétants témoignent des dégâts collatéraux du changement de pratiques agricoles.
Ainsi, la petite rainette verte, autrefois commune dans les campagnes, est désormais menacée de disparition, comme nombre d'oiseaux des prés.
Créé pour évaluer la qualité des habitats naturels d'intérêt communautaire, le Corine Land Cover, inventaire européen d'occupation des sols, ne laisse
planer aucune ambiguïté : entre 1988 et 2004, la variation d'abondance des oiseaux communs des champs a dégringolé de 27% ! «Le phénomène est lié en grande partie à l'emploi des pesticides et des
herbicides qui privent ces oiseaux de nourriture. Comme par hasard, dès que l'on passe de la grande culture à des espaces bocagers plantés d'arbres fruitiers, la courbe s'inverse», souligne
l'ornithologue Philippe Dubois.
L'exemple le plus significatif de cette érosion se situe dans le marais Poitevin, où l'hégémonie du maïs a modifié en profondeur le réseau hydrographique qui
irriguait le bassin versant. En 1997, cette ex-zone humide a perdu son label de parc naturel régional et malgré les millions d'euros injectés par l'Etat pour restaurer le site, celui-ci est
toujours recouvert d'un océan de céréales émaillé de quelques rares prairies spongieuses où se concentrent les derniers hôtes sauvages.
P. C.
Est Républicain - 22/01/08