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25 Janvier 2009
La compétence de l'auteur d'un acte administratif, CE, Ass., 3 octobre 2008, Commune d'Annecy
En droit français, le juge administratif a vocation à protéger les droits et libertés fondamentales des citoyens.
En l'espèce, il s'agit d'un arrêt rendu le 3 octobre 2008 par le Conseil d'État.
La commune d'Annecy a introduit un recours pour excès de pouvoir, requérant au Conseil d'État l'annulation d'un décret du 1er août 2006 relatif aux lacs de montagne.
La commune d'Annecy semble contester la légalité de cet acte administratif en vertu de l'article 34 de la Constitution de 1958 et notamment de l'article 7 de la Charte de l'environnement de 2004, contenue dans son Préambule. Le requérant semble en effet estimer que l'État a pris un décret dans un domaine où seul le législateur est compétent.
Le défendeur, quant à lui, semble manifester sa compétence, considérant que le décret a été pris en application de l'article L 145-1 du code de l'urbanisme.
La question est donc de savoir si la Charte de l'environnement de 2004, consacrée par le Préambule de la Constitution de 1958, peut être invoquée devant le juge administratif pour un recours en annulation d'un acte administratif sur le fondement de l'incompétence de son auteur relevée par ladite Charte.
Pour fonder sa décision, le Conseil d'État va considérer que le pouvoir réglementaire a méconnu l'article 7 de la Charte de l'environnement de 2004, et qu'en le méconnaissant, le décret a été pris par une autorité incompétente, à savoir le pouvoir réglementaire, dans un domaine réservé au pouvoir législatif.
Le Conseil d'État consacre dans cet arrêt la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement ; ainsi, il est intéressant d'étudier comment le Conseil d'État, dans sa formation la plus solennelle qu'est l'Assemblée, reconnaît une valeur juridique et constitutionnelle à une partie du bloc de constitutionnalité, comme il l'a déjà fait auparavant pour d'autres textes procédant du Préambule de la Constitution.
Il est aussi intéressant par cet arrêt d'étudier dans quelle mesure la compétence de l'auteur d'un acte administratif est un souci permanent en droit administratif.
Il conviendra donc d'étudier dans un premier temps la consécration solennelle de la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement de 2004 (I), et dans un second temps la consécration de la compétence du législateur en matière de droits du citoyen et d'environnement (II).
I - La consécration de la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement
Depuis une cinquantaine d'années, avant même l'adoption de la Constitution de 1958, le Conseil d'État a progressivement accordé une valeur juridique aux normes procédant du Préambule de la Constitution, et c'est en 2008, seulement quatre ans après la rédaction de la Charte de l’environnement, que le Conseil d'État lui reconnaît solennellement une valeur constitutionnelle (A), et pose le principe que sa méconnaissance est un motif d'annulation d'un acte administratif (B).
A - L'aboutissement du processus de consécration de la valeur juridique du bloc de constitutionnalité
Le Conseil d'État, dans les fondements de sa décision, énonce que "ces dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, et à l'instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle". Par cette formule, le Conseil d'État rappelle que les normes du Préambule de la Constitution ont une valeur juridique égale à celle du contenu même de la Constitution, à savoir une valeur supra-législative. En effet dès les années 1950, le Conseil d'État reconnaît progressivement une valeur constitutionnelle au bloc de constitutionnalité. La déclaration de 1789 (déjà part du Préambule de la Constitution de 1946) a été directement appliquée par le Conseil d'État dès juin 1957 dans l'arrêt Condamine, dans lequel le Conseil d'État applique directement ses articles 9 et 10. Cette jurisprudence deviendra constante dès la Vème République, avec notamment l'arrêt Société Eky du 12 février 1960, dans lequel le Conseil d'État applique directement l'article 8 de la déclaration de 1789. Les principes particulièrement nécessaires à notre temps ont eux aussi été consacrés par le Conseil d'État, même si leur application a été plus indirecte : le Conseil d'État, dans l'arrêt Gisti du 8 décembre 1978, fonde sa décision directement sur ces principes, leur accordant ainsi une valeur constitutionnelle. De même, le Conseil d'État va reconnaître aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République une valeur constitutionnelle, clairement établie dès l'arrêt Amicale des Annamites de Paris du 11 juillet 1956, dans lequel le Conseil d'État reconnaît la liberté d'association comme principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Par cet arrêt du 3 octobre 2008, le Conseil d'État achève le long processus de la consécration de la valeur constitutionnelle des normes du Préambule de la Constitution, en accordant pour la première fois une valeur juridique à la Charte de l'environnement. Le juge administratif fonde sa décision sur l'article 7 de la Charte "ces dispositions, comme l'ensemble des droits et devoirs définis par la Charte de l'environnement " et en profite pour poser le principe de la valeur constitutionnelle du texte dans son ensemble. On note que le juge administratif insiste sur la valeur supra-législative accordée à la Charte, notamment en précisant que depuis l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle de 2005, un décret ne peut intervenir que pour appliquer des dispositions législatives, qu'elles soient postérieures à 2005 ou antérieures "sous réserve, alors, qu'elles ne soient pas incompatibles avec les exigences de la Charte".
Ainsi, le juge administratif pose le principe selon lequel la loi doit se soumettre à la Charte : une disposition contraire à une norme constitutionnelle se verrait nécessairement annulée pour inconstitutionnalité.
B - Le principe de la méconnaissance de la Charte comme moyen d'annulation d'un acte administratif
Le principe posé dans cet arrêt du Conseil d'État, corrélativement à la consécration de la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement, est que la méconnaissance de ladite Charte peut entacher une décision administrative d'illégalité et de ce fait entraîner sa nullité. Le Conseil d'État, par cet arrêt, accorde sa jurisprudence avec celle du Conseil Constitutionnel, posée dans une décision du 19 juin 2008, relative aux Organismes Génétiquement Modifiés : dans cette décision le Conseil Constitutionnel s'appuie directement sur l'article 7 de la Charte de l'environnement pour déclarer certaines dispositions d'un décret contraires à la Constitution, et constater, sur ce fondement, leur nullité de droit.
Le juge administratif, pour annuler ce décret, va considérer que les dispositions de la Charte, comme l'ensemble du Préambule de la Constitution "s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif". Cette disposition, constitutionnelle, implique nécessairement que sa violation d'une telle norme est un moyen d'annulation d'un décret, dans la mesure où tout décret a pour obligation, selon le principe de légalité consacré par notre République, de respecter les normes qui lui sont supérieures, sans quoi il peut être entaché d'illégalité.
On peut également noter, détail qui a tout de même son importance, que dans ses visas, le Conseil d'État énonce "Vu la Constitution, notamment son Préambule et l'article 34" ce qui amène donc à penser que la violation d'une disposition du Préambule, en l'espèce la Charte de l'environnement, ou sa méconnaissance, est une faute grave entraînant une sanction sévère pour l'administration, à savoir l'annulation d'un acte administratif.
En effet en l'espèce, le décret du 1er août 2006 méconnaît les dispositions de l'article 7 de la Charte de l'environnement qui "ont réservé au législateur le soin de préciser "les conditions et limites" dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement...".
Donc, le pouvoir réglementaire en faisant abstraction des dispositions de la Charte de l'environnement lors de l'adoption de cet acte, a entaché ce décret d'illégalité.
Après s'être intéressé à la valeur juridique qu'acquiert la charte de l'environnement par cette décision, il convient maintenant d'étudier en quoi cet arrêt du Conseil d'État met en valeur la compétence exclusive du Parlement en matière de droits du citoyen et d'environnement.
II - La consécration de la compétence du législateur en matière de droits du citoyen et d'environnement
Il convient ici d'étudier dans quelle mesure le pouvoir législatif joue un rôle primordial dans la création des normes touchant aux droits du citoyen ainsi qu'a l'environnement (A), et de comprendre pourquoi le pouvoir réglementaire, quand il empiète sur le terrain législatif, est sévèrement sanctionné, par l'annulation de tels actes (B).
A - L'application par le juge administratif de l'article 34 de la Constitution et de l'article 7 de la Charte de l'environnement
La décision du juge administratif est fondée sur deux textes : l'article 34 de la Constitution et l'article 7 de la Charte de l'environnement.
L'article 34 de la Constitution attribue une compétence exclusive au législateur en matière d'environnement : "la loi détermine les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement", et l'article 7 de la Charte de l'environnement précise que "toute personne a le droit, dans les conditions et limites fixées par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement...» Ces articles évoquent donc la suprématie du Parlement en matière d'environnement, et de protection des droits du citoyen, domaines qui sont donc exclusivement réservés au pouvoir législatif.
Le Conseil d'État, en application de ces articles, sanctionne le pouvoir réglementaire, qui empiète par ce décret, sur le domaine du pouvoir législatif : "une disposition réglementaire ne peut intervenir dans le champ de l'application de l'article 7 de la Charte de l'environnement que pour l'application de dispositions législatives". Or, le décret attaqué introduit de nouvelles dispositions, ce qui exclut toute hypothèse de dispositions d'application de mesures prises par le pouvoir législatif, ce qui entraîne sa sanction. Ainsi, le pouvoir réglementaire doit se limiter à des mesures d'application, tandis que la compétence du Parlement en matière de droits du citoyen et d'environnement est consacrée par les textes précités, et directement appliquée par le Conseil d'État. On remarque ainsi une affirmation du rôle du législateur dans le domaine environnemental dans la mesure où le motif de la décision est l'incompétence du pouvoir réglementaire dans ce domaine. Ainsi, le législateur est positionné non seulement en garant des droits du citoyen, mission qui ne lui est pas nouvelle, mais aussi protecteur de l'environnement, fonction qui lui est plus récente.
Cette fonction est consacrée par le Conseil d'État en l'espèce par l'annulation du décret pour incompétence du pouvoir réglementaire.
B - L'annulation du décret par le juge administratif pour incompétence du pouvoir réglementaire
Le Conseil d'État énonce, en application des articles 34 de la Constitution et 7 de la Charte de l'environnement, que "une disposition réglementaire ne peut intervenir dans le champ d'application de l'article 7 de la Charte de l'environnement que pour l'application de dispositions législatives, notamment parmi celles qui figurent dans le code de l'environnement et le code de l'urbanisme".
Or, le décret attaqué a été pris pour l'application de l'article L 145-1 du code de l'urbanisme. On pourrait donc penser que les dispositions de ces deux articles ont été respectées.
Pourtant, le Conseil d'État considère que ni l'article L 110-1 du code de l'environnement, ni l'article L 145-1 du code de l'urbanisme ne sont des dispositions fixant les "limites et conditions" requises par l'article 7 de la Charte et nécessaires à la validité des actes ultérieurement pris par le pouvoir réglementaire en application de ces articles. Le Conseil d'État considère "qu'en l'absence de la fixation par le législateur de ces conditions et limites, le décret attaqué (ne peut pas être un) décret d'application des mesures fixées par le législateur", dans la mesure où il "entre dans le champ de l'application de l'article 7 de la Charte". En conséquence, l'autorité réglementaire était incompétente pour prendre cet acte. Or, la compétence de l'auteur est un moyen d'annulation de légalité externe d'un acte administratif dans le cadre d'une procédure de recours pour excès de pouvoir.
On peut également relever une erreur de droit dans le motif d'adoption du décret, moyen de légalité interne d'annulation d'un acte administratif, dans la mesure où la loi invoquée pour justifier l'adoption de l'acte n'a pas été correctement interprétée par l'administration.
Sur ces fondements, la décision d'annulation de l'acte administratif par le Conseil d'État est légalement justifiée.